L’usage de la force par les forces de l’ordre

par Alvaro FERNANDESDirecteur pédagogique de l’organisme de formation FSPI HARMONY SÉCURITÉ

Les évènements au cours desquels les policiers nationaux, municipaux ou les gendarmes sont contraints de faire usage de la force pour préserver l’une ou l’autre de nos libertés publiques, c’est-à-dire pour faire respecter la loi, sont de plus en plus médiatisés.

Instantanément, la presse relaye cette actualité d’une manière plus ou moins précise. Suivie ou précédée par différents commentaires à sensations qui vont inonder les différents réseaux sociaux générant, d’une part les premières émotions, d’autre part des réactions publiques trop souvent déraisonnables.

Les faits sont ainsi analysés par des chroniqueurs à l’expérience approximative, par des politiciens à la recherche d’un plus large électorat, par des experts qui développent leurs avis et leurs théories à partir de leur abyssale méconnaissance des sujets qu’ils traitent, et ceci publiquement.

Ils alimentent l’opinion publique avec des informations souvent imprécises, parfois erronées, généralement fausses ou équivoques.

Ainsi va le fonctionnement des médias, des réseaux sociaux et leurs irréversibles besoins de sensationnelle rentabilité.

Pourtant il est important que les clichés colportés sur les forces de sécurité, étatiques, territoriales ou privées prennent fin.

Ils sont trop souvent en décalage avec la réalité. Ils contreviennent à la justesse juridique ou règlementaire des faits réels, commentés en méconnaissance des procédures techniques, tactiques ou des véritables raisons qui ont conduit à leurs mises en œuvre par les agents.

J’ai porté l’uniforme pendant plus de 35 ans au sein de la Police nationale, tantôt comme agent sur le terrain, tantôt comme formateur dans diverses spécialités.

Durant ces trois décennies et demie, j’ai conseillé, formé mes collègues et des formateurs sur les contenus techniques, tactiques, juridiques et déontologiques de l’intervention.

Je suis aussi intervenu comme sachant auprès de différentes instances d’audit, de contrôle ou pénale, pour éclairer objectivement les enquêteurs, les avocats et les magistrats sur la compréhension de la conduite des interventions, sur le bon sens des décisions et des actions entreprises par les FDO au cours des évènements évalués.

Aujourd’hui, jeune retraité de la fonction publique d’état, à présent directeur pédagogique d’un organisme de formation (FSPI HARMONY Sécurité), je conseille, dès que mes collègues municipaux, nationaux, du secteur privé, un avocat ou un magistrat me sollicitent, sur les sujets de l’emploi et de l’usage de la force, de leurs nécessaires justifications, de leurs possibles conséquences pénales, humaines, professionnelles, sociétales.

Cet article n’a toutefois pas vocation à perdre quiconque (notamment les FDO qui seront mes principaux lecteurs) dans des considérations strictement juridiques.

Non, je veux juste évoquer le bon sens et globalement éclairer !

Nécessité et proportionnalité

Ainsi, au moment où le policier ou le gendarme fait usage de la force, il n’effectue pas une analyse juridique de la réponse à apporter : il répond par une action commandée par le terrain qu’il sait nécessaire et proportionnée.

Confronté à une force adversaire, l’agent perçoit la situation critique, l’analyse, prend une décision et agit. Tout cela en une fraction de seconde. Sans aucun droit à l’erreur.

Sa réponse doit être nécessaire et proportionnée.

Nécessaire et proportionnée… ?

Nécessaire à qui, pourquoi, dans quel but ?

Proportionnée à quoi, à quel moment, pour conjurer quel péril, pour annihiler quelle atteinte ?

En réalisant son action, l’agent commet-il une infraction ? Cela lui permet-il de préserver un intérêt supérieur au regard du droit, de l’opinion publique ?

Et la gravité de l’atteinte ? Quelle est-elle ? Comment la graduer, comment la percevoir, comment l’estimer ?

Un citoyen, un enquêteur ou un magistrat qui n’a jamais été confronté à un danger grave ou à un péril imminent, le percevrait-il comme un policier ou un gendarme expérimenté sait le faire ?

Au moment de son intervention, des émotions vont-elles altérer les capacités physiques, techniques, sensorielles, mentales ? Est-ce physiologiquement normal ?

En une fraction de seconde donc, l’agent, avec ses automatismes professionnels va devoir agir pour apporter une réponse technico-tactique, juridique, règlementaire, nécessaire et proportionnée au but qu’il poursuit.

Ce but poursuivi justement, quel est-il ? Est-il induit par l’ordre de la loi, par une instruction de la hiérarchie, par la conviction personnelle, l’éducation ?

La formation

C’est par son entrainement, par la répétition régulière, par la diversification des situations éducatives vécues, que l’agent va développer des capacités et des compétences professionnelles.

C’est donc en théorie ce qui devrait lui permettre de conduire, ensuite, avec un maximum d’efficacité et de justesse, ses interventions sur le terrain.

Mais en pratique, les policiers s’entrainent-ils suffisamment, répètent-ils assez fréquemment les exercices ? Les drills éducatifs sont-ils réguliers ? La formation proposée est-elle adaptée aux exigences évolutives du terrain ?

Malgré les apparences, mis à part quelques unités spécialisées, pour la majorité des agents d’état la réponse est non.

Ce n’est évidemment pas par plaisir que les policiers sont contraints d’aller s’entraîner ou se former dans les clubs privés, sur leur temps de repos, avec les encouragements sous-jacents de leur institution. En payant par ailleurs eux-mêmes leurs abonnements, leurs cartouches, leurs équipements …

Bien qu’en lien direct avec la problématique traitée, le sujet de la formation professionnelle sera analysé isolément dans un prochain article. Il mériterait toutefois un livre pour tout développer…

Vous le comprenez, de bien nombreux paramètres doivent être pris en compte pour d’abord « lire » l’évènement, ensuite percevoir la nécessité d’agir, puis décider d’une action dans le catalogue professionnel exhaustif des techniques existantes, et enfin déployer la force…

… En une fraction de seconde ! Quel métier complexe !

Pendant et après l’intervention

Comme je l’indiquais précédemment, il revient au policier ou au gendarme de ne pas commettre d’erreur lors de son intervention, ni non plus, après celle-ci.

Chaque évènement, chaque action est un cas d’espèce différent des autres.

Les agents sont des professionnels expérimentés qui agissent toujours en fonction d’une décision qu’ils prennent instantanément.

Leurs choix d’actions sont toujours dictés par les automatismes acquis. Leurs actions sont volontaires et même si elles sont immédiatement consécutives à la prise de décision, elles n’en demeurent pas moins réfléchies et, j’insiste, volontaires.

Volontaires, est un mot essentiel car il induit la volonté de l’agent de déployer la force, de manière contrôlée, raisonnée, en employant des techniques institutionnelles, pour annihiler raisonnablement l’action illégale de la force adverse, toujours en vue de préserver un intérêt supérieur.

Comprendre la hiérarchie des normes, c’est finalement comprendre le positionnement de cet intérêt supérieur par rapport à celui (ou à ceux) qui lui est inférieur au regard du droit.

Appréhender ensuite ce que signifient la nécessité et la proportionnalité n’est plus qu’une affaire de bon sens.

Le fait justificatif

Le déploiement intentionnel de la force par l’agent, quel que soit sa gradation, implique donc de ce dernier son intention de commettre une infraction. À l’élément légal et à celui matériel vient donc s’ajouter l’élément moral. Infraction certes, mais toujours pour préserver un intérêt supérieur, n’oubliez pas !

Aussi, le fait justificatif, c’est-à-dire l’exposé précis, objectif et univoque, doit clairement décrire le déroulement chronologique de l’intervention et des actions entreprises tant par les agents, que par leur adversaire.

Tout cela, les policiers et les gendarmes le savent bien et je ne leur apprends rien.

Ce qui pose un problème c’est la perception par le public, les enquêteurs ou les magistrats du péril, des émotions, de la situation, perçus par les agents au moment des faits.

Chacun y va, à ce stade, de son interprétation, de son avis, sur ce qui aurait pu ou dû être fait, tant sur le plan technique que tactique ou comportemental.

Et que dire des collègues ou de la hiérarchie qui souvent leur « savonnent la planche » immédiatement après leur intervention ?

Si les agents estiment que leur intervention, leurs actions, la force qu’ils ont intentionnellement déployée, s’inscrivent dans les obligations et les prescriptions d’absolue nécessité, de proportionnalité, de technicité, de déontologie, ils doivent aussi se souvenir que l’intervention a pu être filmée.

Tout le monde le sait, une séquence vidéo sortie de son contexte peut parfois servir défavorablement si elle était diffusée sur les réseaux sociaux ou dans le cadre d’une procédure.

L’avocat

Aussi, avant qu’ils ne se lancent dans la transcription précise des faits, un avocat ou un sachant reconnu, peuvent apporter une aide précieuse et devenir de fidèles conseillers et alliés.

Les agents doivent toujours garder à l’esprit que le moindre détail dans leurs commentaires ou dans leur transcription sur le procès-verbal est important.

Il peut être utilisé consécutivement à décharge, mais aussi malheureusement, injustement à charge.

De même, le policier ou le gendarme n’a pas à expliquer le droit en écrivant par exemple avoir agi dans le cadre de l’article untel relatif à la légitime défense, de tel autre se rapportant à l’état de nécessité, ou encore du cas x de l’article L 435-1 du code de la sécurité intérieure.

Non, il décrit exhaustivement et fidèlement les faits, la réponse apportée, et explique factuellement la force déployée jusqu’à l’obtention du but qu’il poursuivait.

C’est-à-dire que ce qui est attendu de l’agent par les enquêteurs, la hiérarchie ou les magistrats, consiste en une explication précise et circonstanciée de l’évènement (l’environnement, le contexte, heure, l’attitude de l’adversaire, du public, les instructions reçues, …) pour que ces derniers puissent évaluer si les moyens déployés, en tout cas la réponse « policière » mise en œuvre, correspondaient aux exigences de justesse, de nécessité et de proportionnalité.

A ce stade seulement, l’action intentionnelle au cours de laquelle la force a été déployée par l’agent, l’infraction commise donc, pourra être « classée » dans l’une ou l’autre des causes d’irresponsabilité pénale au regard du fait justificatif préalablement analysé.

Conclusion

S’il est exact que les poursuites engagées exagérément contre les policiers ou les gendarmes pour le chef de violences sont de plus en plus fréquentes, mon expérience et celles des avocats qui œuvrent pour leur défense laissent apparaitre que les diverses accusations font très souvent suite à une imprécision des faits exposés, à leur interprétation, à des déclarations équivoques.

Lorsque les agents se retrouvent ensuite face à un juge et sont prévenus d’une infraction qu’ils n’ont pas commise (qui plus est s’ils sont condamnés), sont des instants tragiques qui peuvent détruire injustement leur vie professionnelle ou familiale.

Enfin, le conseil que je leur donne est de faire appel à un sachant, mieux, à un avocat, dès qu’ils ont un doute sur les conséquences possibles de leur légitime intervention.

Leur sixième sens les en alertera certainement.